Voici un chapitre du livre «Les Baronnies, mode d’emploi d’un fragment de paradis», par Patrick Ollivier-Elliot avec la collaboration de Marie-Odile Arnoux, ÉdiSud, 2007, ISBN 978-2-7449—0266-6. www.edisud.com. Reproduit avec la gracieuse permission de l’éditeur.
Nous vous présentons ce beau texte pour son aspect littéraire et poétique, même s’il ne peut pas servir comme guide touristique ou historique.
Villeperdrix(Villa Perdicus)Le patronyme de ce village ne vient pas d’une surdensité des oiseaux qui cacabent, mais du gallo-romain Perdicus qui y fonda une villa ; le temps ensuite empluma son nom.
Villeperdrix occupe un site étonnant qui domine la gorge de l’Eygues : un petit plateau orienté plein Sud, protégé des vents du Nord par la rassurante silhouette d’Angèle, et juste assez haut placé pour que, même dans sa course hivernale, le soleil passe au-dessus des montagne d’en face ; aussi, lorsque la vallée du Rhône est dans la soupe, lorsque le brouillard s’infiltre dans la gorge de l’Eygues, lorsque les ubacs de Bramard et du Plus-Haute-Laup si figent sous un blanc de neige, Villeperdrix dore ses oliveraies (les plus belle de la contrée) au soleil, et les chats s’y chauffent sur les toits par bataillons entiers.
Quelques points d’histoire
Au Moyen Âge, la Villa Perdicus devient un petit bourg fortifié, constitué à proximité d’un prieuré Saint-Pierre fondé par Bodon. Durant les guerres de religion, ce village passa à la Réforme, tandis qu’étaient détruits le prieuré et l’église. Jusqu’à l’abrogation de l’Édit de Nantes, sur cent familles cinq seulement était catholiques.
Le Village
Ici, on est plutôt loin de tout, car par la D94 il y a autant de kilomètres de gorges à parcourir vers l’Est ou vers l’Ouest si on veut trouver un commerce ; quant aux autres sorties, ce sont la méchante route qui glisse tant bien que mal vers Léoux, c’est-à-dire nulle part, et un chemin à peine carrossable vers le col de Chaudebonne et Saint-Ferréol. Cela pourrait faire un pays mort – beaucoup disparurent pour moins que ça-, et au contraire le village est aimablement vivant, les sonnailles des moutons chantonnent sous les oliveraies, les outils grattent le sol, des pas résonnent dans les ruelles, des enfants jouent.
Côté Ouest, l’ancien rempart se discerne à sa forme et la Porte de la Herse, bien conservée ; le tracé du rempart se trouve aussi le long la grand’ rue et se termine contre le « château », là où était la Porte de la Brèche. Le vrai château a été détruit pendent la Révolution, et l’immeuble qui porte son nom est une grosse maison dans laquelle fut le moulin à huile ; l’installation de moulinage se voit encore et l’endroit est devenu la savoureuse auberge « Le moulin du château ».
Le village est un extraordinaire enchevêtrement des maisons, avec tant de soustets que j’ai renoncé de les dénombrer ; au fil des ruelles, quelques beaux porches ou portes, dont un linteau portant l’inscription « 1792 – AN 4 DE LA LIBERTÉ ».
L’église Saint-Pierre
L’église Saint-Pierre, reconstruite au XVIIe siècle et restaurée dans les années 1990 par les perdrissiens eux-mêmes, se compose d’une nef et un chœur à chevet plat, sous voûte plein-cintre. Son intérieur est chaleureux : une lumière douce, un mobilier rustique, un bénitier calcaire noir veiné de blanc, et un décor assez riche :
- Chœur : tableau de saint Pierre délivré des liens, et statues de Vierge à l’enfant (XVIIIe) et saint Joseph, en bois doré.
- Mur Nord : chaire XIXe en noyer, tableau Remise du rosaire à saint Dominique et sainte Catherine (Dominique est un gros barbu, je ne l’avais encore jamais vu représenté ainsi…) et autel de la Vierge avec statue Vierge couronnée.
- Mur Sud : statue de saint Jean évangéliste, avec l’aigle son emblème ; comme presque toujours, ce saint et représenté avec un visage féminin. Excellents vitraux modernes d’Alexia Carr.
- Fond de l’église : un saint Michel terrassent le dragon, deux bannières processionnaires et un petit tableau XIIe de saint Pierre qu’un ange va délivrer des liens.
Aux environs
La chapelle Notre-Dame-de-Sacré-Cœur
Au-dessus du village, sur la butte de La Chau (=la chapelle), se tient la chapelle Notre-Dame-de-Sacré-Cœur, abandonné et en ruines depuis la Grande Guerre.
Le prieuré perdu
Le prieuré sante-Pierre, fondé par Bodon, était vers le Serre de la Baye (baye = l’abbaye) ; il fut détruit pendent les guerres de religion.
La voie romaine
Le passage d’une voie romaine a été décelé dans cette partie du sillon d’Eygues.
En amont de l’embranchement de Villeperdrix, elle traversait l’Eygues par un pont situé vers le Petit-Laup (comme le laisse penser per un aménagement sur la rive gauche), puis suivait la rive droite, franchisait le Ruisseau de la Croix par un pont de pierre, et retraversait l’Eygues en aval vers la Grotte de la Sexagésime, là où est la cabane du cantonnier. Son tracé, identifié par endroits sur cinq mètres de large avec des passages taillés dans le rocher, montre qu’elle était une voie importante entre les deux villes gallo-romaines d’alors, Vasio (Vaison) et Lucus (Luc en Diois).
Le pont de Ruisseau de la Croix fut découvert vers 1960 par l’abbé Van Damme, mais fut partiellement dégradé par l’Equipement peu après ; il en reste les culées et l’amorce de l’arche. L’appareillage, à strates de petits moellons chaînés à intervalles par une ligne de dalles plates, le fait dater du IIe siècle de notre ère.
Les Restanques
Voyez la plus extraordinaire concentration de restanques (des murs de retenue en pierres sèches) de la région (beaucoup abandonnées depuis le gel des oliviers en 1956) et imaginez ce que dut représenter leur construction, souvent en blocs cyclopéens. Fallait-il avoir besoin de terres cultivables pour accomplir de pareils travaux d’Hercule.
Les plus spectaculaires sont en surplomb de la D94, et dans les virages de la Route de Léoux.
L’abri du Petit-Laup
Dans ce long abri sous roche (rive gauche de l’Eygues) ont été découvertes des traces du Paléolithique supérieur et du Bronze.
L’Exotisme
Souvenirs de Perdrissiens qui avaient voyagé au loin, ou coïncidence dans des déformations de noms, en tout cas sur la commune une ferme s’appelle Brésil et un autre Pérou.
Léoux (Castrum Leone, Villa Leone)
Un hameau encore plus caché que tout autre, au-delà des bouts du monde qui sont Villeperdrix et Arnayon, ses deux seuls accès.
Depuis Villeperdrix, on y monte par une gorge terrifiante (et qui cependant, quand elle fut construit en 1936, fut enfin l’ouverture sur le monde : jusque-là, on n’accédait à Léoux que par chemin de chèvres) ; au bout, s’ouvre une vallée accueillante, celle de Léoux. Depuis Arnayon, on descend par un vrai désert où l’arbre le plus haute et un buis de deux pieds qui prend alors les allures de baobab, puis par une gorge plus modeste que celle de Villeperdrix.
Ces difficultés d’accès firent de la haute vallée un lieu de refuge des protestants au XVI-XVIIe siècles ; à la Révolution, Léoux comptait 280 habitants.
Le paysage est parfaitement beau, avec des peupliers et des saules, des petits vergers, des lavandes, des prairies, le ruisseau du Léoux qui saute nerveusement de marche en marche, des biques qui ricanent de leurs yeux de diable, de chevaux qui courent sur les contreforts d’Angèle, des grosses fermes éparses (on aime bien son calme ici) sur laquelle le soleil rebondit, et une immense paix.
Si à Villeperdrix on entend déjà un chat bailler, à Léoux il n’y a plus de bruit du tout sauf celui du temps qui passe, aussi quand une voiture s’approche on l’entend une semaine avant de la voir.
Et cependant les fermes sont habitées, les jardins fleuris, les cultures vivantes d’activité humaine, et le long des chemins les clignots se poursuivent en riant.
Les deux monuments sont le temple et l’église. Le temple, construit en 1789, était vaste puisqu’il pouvait recevoir cent-cinquante fidèles assis ; amputé en 1959 d’un partie menaçant ruine, il croupit maintenant en face à l’ancienne école, et il me parait peu probable qu’il passe la prochaine décennie.
L’église Notre-Dame-des-Champs a eu plus de chance, en dépit d’une vie chaotique : construit en 1784 en relève d’un église Saint-Michel citée en 1060 et détruit durant les guerres de religion, elle fut transformée en étable en 1791, puis récupéra sa fonction primaire en 1826 et fut même alors dotée de son clocher et d’une cloche fondue sur place. Mais avec l’exode rural, l’église fut fermée en 1909 et bientôt tomba en ruine. Des volontaires la dégagèrent à partir de 1992, puis une vraie restauration fut lancée grâce à une initiative privée, et en 1998 l’église rajeunie était consacrée sous le vocable de Notre-Dame-des-Champs. À l’intérieur, bénitier en marbre cannelé, encastré dans le mur, et belle Vierge contemporaine en olivier, une Vierge qui est aussi en peu Cérès en raison des céréales et des fruits qu’elle brandit.
À La Viare, on peut chercher les vestiges « de la villa romaine » : pas de colonnes ni de théâtre antique, mais des substructions ; selon un texte XVIIe siècle, un semblant du bourg fortifié aurait existé là au Moyen Âge.
Ce livre déborde de belles histoires sur toute la région, noté avec beaucoup d’amour et d’humour.
Il fait partie d’une liste de onze livres qui décrivent les terres et les villages dans les pays entourés par la ligne d’Aix-en-Provence par Avignon, Valence, Die, Sisteron et Manosque.
“Les Baronnies” est encore disponible en librairie. Hautement recommandé !